Cinq tableaux du XIXe siècle conservés dans des églises de Picardie

Les cinq tableaux que nous publions ici doivent faire prochainement l’objet d’un classement au titre des Monuments Historiques, après avoir été découverts [1] (deux d’entre eux étaient cependant connus) dans des églises de Picardie. Des trois tableaux conservés à Quesnoy-sur-Airaines, dans la Somme, l’un est signé et daté Glaize 1846, le deuxième était jusqu’à aujourd’hui faussement donné à Horace Vernet et le dernier, pour lequel nous proposons une attribution, était anonyme. Nous complèterons cet article par deux belles toiles dont la paternité nous échappe encore.

Un chef-d’œuvre de Glaize

Auguste-Barthélémy Glaize
L’Etoile de Béthléem
Quesnoy-sur-Airaines, église
Photo : D. R.
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Auguste-Barthélémy Glaize (1807-1893) fut élève des deux frères Achille et Eugène Devéria. Sa production est considérable, et de qualité inégale. Le tableau conservé dans l’église de Quesnoy-sur-Airaines est sans doute l’un de ses chefs-d’œuvre. Exposé au Salon de 1846 sous le titre L’étoile de Bethléem [2] ({}. 1), il représent l’arrivée des Rois Mages, guidés par un ange portant l’étoile dans sa chevelure et désignant la Sainte Famille à leur vénération. Les critiques de l’époque n’aimèrent généralement pas cette manière quelque peu profane de traiter une scène religieuse. Cependant, Alfred Des Essarts comprit l’originalité de cette toile, même s’il ne l’apprécia pas :

« Devrions-nous, en conscience, ranger au nombre des tableaux religieux, l’Adoration des rois mages, par M. Glaize ? Cet artiste semble n’avoir cherché qu’à reproduire de riches étoffes. Il donne aux accessoires la même valeur, plus de valeur peut-être qu’aux figures. Ces rois sont très bien habillés pour être parfaitement pieux. D’où vient qu’ils tournent le dos à l’enfant miraculeux qu’ils sont venus de si loin visiter ? Si M. Glaize s’était pénétré de la grande loi de l’unité, il eût concentré l’intérêt et les regards sur la Sainte Famille qu’il a, au contraire, reléguée au dernier plan. Il y a en avant un négrillon vêtu d’une robe verte, lequel a plus d’importance, sous le double rapport du relief et de l’éclat du coloris, que toute la Sainte Famille. On ne saurait, en conscience, tolérer de pareilles aberrations ; car traiter de la sorte un sujet sacré, c’est lui enlever son caractère. Et quelle bonne impression voulez-vous que le tableau de M. Glaize produise dans une chapelle sur l’esprit de la foule ? » [3]

Cette critique est représentative du débat qui parcourt la critique dans les années 1840 à propos de la peinture d’église, accusée de n’être pas suffisamment portée par un sentiment religieux. Si du point de vue théologique on peut comprendre les réticences de Des Essarts, sur le plan de la peinture pure, il faut admirer la richesse des coloris qui évoque fortement l’art des Devéria, tandis que les costumes et l’atmosphère de la toile transforment celle-ci en une véritable scène orientaliste.

Schopin plutôt que Vernet

Frédéric-Henri Schopin
Saint Jean-Baptiste prêche dans le désert
Quesnoy-sur-Airaines, église
Photo : D.R.
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3. Frédéric-Henri Schopin, Saint Jean-Baptiste prêche
dans le désert
, Paris, collection particulière
Photo : D. Rykner
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Dans l’ouvrage de Bruno Foucart sur la peinture religieuse du XIXe siècle [4], la liste des tableaux des églises de Province [5] donne le nom d’Horace Vernet comme auteur de la Prédication de saint Jean-Baptiste ({}. 2). Cette liste est fondée sur des documents d’archives, mais ceux à l’origine de cette identification ne sont pas précisés. Nous n’avons trouvé aucune autre mention d’une Prédication de saint Jean-Baptiste par Horace Vernet, sujet qu’il n’a jamais exposé au Salon. Dans sa thèse inédite sur Vernet [6], Claudine Renaudeau émet des doutes sur l’attribution à Vernet, mais ne propose aucune alternative. Le tableau est par ailleurs réputé provenir des Tuileries, sans que nous sachions sur quelle base [7].

Un tableau [8] (ill. 3) en tout point identique, également non signé, est passé récemment en vente publique en province et son propriétaire l’a attribué, sur son style, au peintre Frédéric-Henri Schopin. Nous avons pu confirmer cette intuition grâce à une gravure conservée à la Bibliothèque Nationale [9]. La lettre indique que Schopin a peint cette composition, lithographiée par H. Garnier. Enfin, il existe un troisième tableau, identique aux deux autres, mais plus grand (H. 138 ; L. 102 cm) [10] dont la localisation est inconnue.

Qu’un tableau de Schopin ait pu être attribué par erreur à Horace Vernet n’est aucunement étonnant. Les deux artistes furent très proches : Frédéric-Henri Schopin (1804-1880), élève de Gros, prix de Rome en 1831, fut pensionnaire à l’Académie de France à Rome sous le directorat d’Horace Vernet. Il subit fortement l’influence de celui-ci et peignit des compositions qui furent gravées en pendant de certaines de ses œuvres [11]. Au Salon de 1840, où fut exposé la Saint Jean-Baptiste prêche dans le désert, de Schopin la critique remarqua surtout son Jacob demande Rachel à Laban. A propos de ce dernier tableau, le perspicace Alfred Des Essarts remarqua, commentaire qui aurait pu tout aussi bien s’appliquer au Saint Jean-Baptiste :

« M. Schopin a fait de la bible à la manière d’Horace Vernet, avec des yeux biens noirs, des cheveux bien nattés, des costu
mes éclatans (sic) : cela ne ressemble guère à la Genèse.
 »

Lequel des trois tableaux aujourd’hui connus est-il l’exemplaire exposé au Salon de 1840 ? Les Archives des Musées Nationaux [12] en donnent les dimensions : 126 sur 86 cm avec le cadre, permettant ainsi d’écarter le troisième cité. Le tableau de Quesnoy-sur-Airaines et celui de la collection parisienne sont de tailles sensiblement égales [13], qui correspondent à celle du Salon et leurs cadres sont très proches, laissant penser qu’ils ont été réalisés à peu de distance d’intervalle et sortent du même atelier. La toile parisienne (la seule dont nous ayons une connaissance directe) est d’une très haute qualité et son cadre est plus élaboré que celle de l’église. Nous pensons ainsi qu’il s’agit du tableau présenté au Salon de 1840, et que celui de Quesnoy-sur-Airaines en est une réplique autographe.

Un tableau ayant concouru pour le prix de Rome en 1835

Attribué à Frédéric Peyson
Tobie rendant la vue à son père
Quesnoy-sur-Airaines, église
Photo : D.R.
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La troisième toile (ill. 4) représente Tobie rendant la vue à son père. Il mesure 111 sur 144 cm . Ces dimensions font immédiatement penser à un tableau ayant concouru pour le Prix de Rome. Or, ce sujet fut donné en 1835, date parfaitement compatible avec le style de cette oeuvre. De plus, malgré de réelles qualités, l’ensemble fait penser au travail d’un artiste encore peu sûr de lui. Il est donc très probable qu’il s’agit effectivement d’un tableau peint pour le concours du prix de Rome de 1835.

Malheureusement, l’ouvrage fondamental de Philippe Grunchec [14] nous apprend qu’aucun calque préparatoire n’est aujourd’hui conservé, qui pourrait nous renseigner avec certitude sur l’auteur du tableau. Des dix candidats ayant participé à l’épreuve finale de ce concours, on peut exclure Roulin et Blanchard dont les compositions sont connues et reproduites dans ce livre. On peut éliminer également Brossard, car son tableau est réapparu depuis [15]. Une lecture attentive des critiques de l’époque permet enfin de ne pas retenir les noms de Murat [16] ni de Guignet [17].

Cinq candidats demeurent : Leloir, Peyson, Leullier, Guerie, Gibert. La solution peut venir du rapport définitif, qui indique que « dans le N°7 [celui de Peyson], il paroit que la figure de l’ange n’est pas indiquée [18] ». C’est effectivement le cas dans ce tableau, où l’on serait en peine de reconnaître un ange dans les personnages représentés. Il semble donc que l’on peut légitimement attribuer ce tableau à Frédéric Peyson, artiste sourd-muet originaire de Montpellier, dont peu d’œuvres sont aujourd’hui connues.

Les trois tableaux conservés dans l’église de Quesnoy-sur-Airaine ont donc été peints sur une décennie, entre 1835 et 1846. Si le Tobie porte un cartel indiquant qu’il s’agirait d’un “don des frères Lecaron”, la provenance des deux autres tableaux ne semble pas connue. Il est intéressant de noter que ces trois toiles religieuses ont toutes une connotation “orientaliste”, pouvant peut être s’expliquer par le goût d’un même collectionneur.

Deux tableaux à identifier

Les deux derniers tableaux, également conservés dans des églises picardes, posent en revanche des problèmes non résolus, tant sur le plan de l’iconographie que sur celui de l’attribution.

5. Anonyme, vers 1840
Scène religieuse
Saint-Germer-de-Fly, église abbatiale
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6. Anonyme, vers 1820-1825
La mort d’Ananie (?)
Essomes-sur-Marne, église
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Le premier (église abbatiale de Saint-Germer-de-Fly, Oise, ill. 5) a été donné par un particulier en 1850, date qui représente un terminus ante quem. Si l’ange central, tendant la couronne d’épine au Christ sur les genoux de sa mère, symbolise la préfiguration de la Passion, la signification du groupe de gauche est moins claire : qui est la femme tenant sur ses genoux un enfant nu ? S’il s’agit de sainte Elisabeth, pourquoi saint Jean-Baptiste apparaît-il plus jeune que Jésus ? Que représentent les trois enfants auxquels l’ange central donne des fleurs, et la jeune fille tenant un rouet à l’arrière-plan ?
L’auteur lui-même est inconnu. Le nom de Charles Landelle a été avancé, mais le canon des personnages, et le style même de l’œuvre nous semblent étrangers à ce peintre. Nous souhaiterions avancer un nom, hypothèse très fragile d’autant que l’artiste a peint peu de tableaux religieux et que nous ne nous appuyons que sur la comparaison avec un seul tableau. Il s’agit de François-Claudius Compte-Calix (1813-1880). Sa Sainte Elisabeth de Hongrie [19](1844, Issoire, Chapelle de l’Hôpital Général) nous paraît présenter de nombreux points communs avec cette toile. Le canon allongé des personnages, les regards intenses, aux yeux soulignés fortement d’ombre, les visages des enfants presque identiques d’un tableau à l’autre, les longs plis hiératiques des vêtements offrent des similitudes troublantes. Nous nous garderons cependant d’aller plus loin en l’absence d’éléments plus probants.

Le dernier tableau (ill. 6), de grand format vertical et de très belle qualité, est conservé dans l’église d’Essomes-sur-Marne (Aisne). Il représente probablement la Mort d’Ananie, sujet plus fréquent au XVIIe qu’au XIXe siècle [20]. Le tableau peut dater des années 1820-1825, et avoir pour auteur un peintre néo-classique marqué par les œuvres romantiques tel qu’Antoine-Jean-Baptiste Thomas (on pourra comparer ce tableau avec le Christ chassant les marchands du temple de l’église Saint-Thomas d’Aquin à Paris [21]) ou François-Joseph Heim, tous deux élèves de Vincent.

Didier Rykner

Notes

[1Nous ne connaissons ces oeuvres que par photographie. Les tableaux de Quesnoy-sur-Airaines ont été inventoriés par Mme Brigitte Stimolo, conservateur des Antiquités et Objets d’Art de la Somme. Nous remercions M. Pierre Yves Corbel, conservateur du patrimoine, de nous avoir fait connaître ces tableaux, ainsi que ceux de Saint-Germer-de-Fly et d’Essomes-sur-Marne.

[2Dans le livret du Salon de 1846, le titre est explicité par cet extrait de l’évangile selon Saint Mathieu : "-... Et en même temps l’étoile qu’ils avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu’à ce qu’étant arrivés sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta" (Saint Mathieu. Chap. II).

[3Alfred Des Essarts, “Salon de 1846. III, Salon Carré”, L’Echo Français, 1er avril 1846.

[4Bruno Foucart, Le renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), Paris, 1987.

[5“Annexe D. Liste des tableaux religieux déposés dans les églises de province entre 1800 et 1860”

[6Claudine Renaudeau, sous la direction de Bruno Foucart, Horace Vernet, catalogue raisonné de l’œuvre peint, Université de Paris IV, 1999.

[7Aucune mention d’un tableau de ce sujet, de Vernet ou de Schopin, ne se trouve dans la liste des achats de peinture de Louis-Philippe, conservée aux Archives des Musées Nationaux.

[8Selon le commissaire-priseur, ce tableau proviendrait du château de Tanlay.

[9B.N.F., Cabinet des estampes (AA6, sup.)

[10Ce tableau, sous une attribution à Vernet, a fait l’objet d’une rechercher par Christie’s en 1997 (courrier conservé au Service d’Etude et Documentation du Musée du Louvre dans le dossier Vernet).

[11Par exemple : Judith et Holopherne (Vernet) et Judith va trouver Holopherne (Schopin) ou Rebecca à la Fontaine (Vernet) et Arrivée de Rebecca (Schopin). Toutes ces lithographies sont de Jazet.

[12Archives des Musées Nationaux, *KK34 (Microfilm 2 Mi 24).

[13Le tableau de Quesnoy-sur-Airaines mesure 98 sur 80 cm sans le cadre (d’après Renaudeau, 1999, op. cit. note), soit la même dimension que le tableau parisien. Avec le cadre, ce dernier a les mêmes dimensions que le tableau du Salon. Les deux cadres sont de dimensions comparables.

[14Grunchec, 1986-1989, les Concours des Prix de Rome, 1797-1863, 2 t., Paris, 1986 (t. I) et 1989 (t. II).

[15Le tableau est conservé au musée de La Rochelle. Une photo est conservée au Service d’Etude et de Documentation des Peintures du Musée du Louvre, dans le dossier Brossard.

[16“La mère et le serviteur font plus de gestes, pour témoigner leur joie et leur étonnement, qu’un sujet biblique ne semble le demander" et surtout "Le vieillard, presque de face, commence à voir et manifeste bien sa joie. Le jeune homme, agenouillé devant lui, est dans le ravissement” (Anonyme (F.), “Concours pour le Grand Prix de peinture”, Journal des débats, 22 septembre 1836, cité dans Grunchec, 1986-1989, op. cit., p. 329-330).

[17“sa scène a beaucoup de mouvement, peut-être trop" et "La (sic) jeune Tobie, de loin, a l’air de se précipiter aux genoux du vieillard et de l’implorer (..)” (ibid.)

[18Cité dans Grunchec, 1986-1989, op. cit. , p. 126.

[19Cf. n° 11, reproduit p. 54, dans le catalogue Le Retour de l’Enfant prodigue, redécouverte de la peinture religieuse du XIXe siècle en Puy-de-Dôme, Conseil Général du Puy-de-Dôme, 1996.

[20NOTE MISE EN LIGNE LE 28 JUILLET 2010 : Cette toile, qui représente en définitive La Colère de Noé, a fait en 2010 l’objet d’une restauration et d’une publication. Voir la brève du 28/7/10.

[21Cf. dans Foucart, 1987, op. cit. note , p. 174-175, ill. fig. 18.

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