Chapelle de Lille : nouveaux arguments à charge contre le ministère et la présidence de la République

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Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, vient de publier sur le site de l’association un article édifiant montrant à nouveau combien le président de la République est un ennemi du patrimoine. Il révèle en effet l’existence d’une ordonnance prise sous François Hollande. Ce dernier n’était pourtant pas, lui non plus, un grand ami des monuments historiques. Et pourtant cette ordonnance avait une portée remarquable pour aller dans le sens à la fois d’une amélioration de la protection du patrimoine, mais aussi dans celui d’une simplification administrative, un terme que le gouvernement actuel a en permanence à la bouche. Mais cela n’est valable, semble-t-il, que lorsqu’il s’agit d’aller de faciliter le vandalisme et non dans celui de sauvegarder nos monuments.


Vue de l’école libre de Saint-Joseph à Lille (aujourd’hui collège Saint-Nicolas)
À droite, la chapelle qui va être démolie. On voit que celle-ci forme un ensemble
cohérent, non seulement avec le collège, mais aussi avec le Palais Rameau,
du même architecte Auguste Marcou, qui se trouve à gauche (on ne le voit pas),
avec sa travée centrale dans l’axe exact de la chapelle
Carte postale ancienne
Voir l´image dans sa page

Cette ordonnance « avait été prise dans le cadre d’une habilitation donnée par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) », une loi dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Il s’agissait d’une part de substituer à l’instance de classement une « instance de protection », ainsi que d’aligner le régime des travaux sur monuments inscrits avec celui des travaux sur monuments classés. Cela signifiait que le ministère de la Culture aurait eu les moyens de sauver la chapelle Saint-Joseph de Lille simplement en l’inscrivant au titre de monument historique, même après la délivrance d’un permis de démolir ou de construire.
Comme le fait remarquer en effet l’auteur, lorsque le directeur général des Patrimoines écrit que « la chapelle n’est pas dénuée d’intérêt architectural », cela justifie à soi seul une inscription au titre des monuments historiques puisque pour cela il suffit que le monument ait un « intérêt d’histoire ou d’art suffisant ». En revanche, en affirmant qu’il n’aurait pas suffisamment d’intérêt pour être classé (ce que nous contestons, avec beaucoup de spécialistes), il constate qu’une simple inscription ne permettrait pas techniquement de sauver la chapelle, un permis de démolir ayant été délivré préalablement. Mais cela n’aurait pas été le cas si l’ordonnance avait été ratifiée, son but étant notamment de combler cette lacune. Bref, le personnel politique, si c’est bien lui qui commande au ministère, se prévaut de ses propres turpitudes pour ne pas protéger la chapelle Saint-Joseph !

Au demeurant, même dans le cadre du droit actuel, appliquer pendant un an les effets du classement à un monument menacé de destruction permet non seulement d’instruire le dossier de son inscription (si toutefois aucun permis n’a encore été délivré) ou de son classement potentiel, mais également de prendre le temps d’examiner avec le propriétaire de quelle manière le bâtiment pourrait être sauvegardé, même sans qu’il soit finalement classé ou inscrit. Et l’analyse que fait l’étude d’impact de la loi patrimoine (rédigée par le ministère de la Culture) des instances de classement prises depuis la réforme de 2005 est édifiante : sur 35 décisions d’instance prises, 6 ont abouti à un classement définitif avec l’accord du propriétaire, 3 ont débouché sur un classement d’office (donc sans l’accord du propriétaire), 15 ont permis une inscription (dont nous rappelons qu’elle ne nécessite pas l’accord du propriétaire), 4 ont permis de sauver le monument sans protection et seulement 2 ont été démolis (peut-être un troisième le sera), tandis que deux dossiers sont encore en cours d’instruction. Sur 33 instances de classement prises (et dont la procédure est terminée), le ministère de la Culture a donc réussi à sauver pas moins de 30 monuments, sans forcément recourir à une protection, parfois grâce à un simple accord trouvé avec le propriétaire. Mais négocier mollement, comme l’a fait le ministère, et hors de toute instance, ne produit pas les même effets… Rien ne dit en effet qu’en étudiant réellement avec l’Yncrea les conditions de sauvegarde de la chapelle, pendant un an, avec application provisoire des effets du classement et sous la menace d’un classement d’office, un accord n’aurait pas pu être trouvé. Mais protéger le patrimoine n’est clairement pas la priorité de Philippe Barbat, directeur général des Patrimoines.

Cet article de Sites & Monuments, que nous encourageons tous nos lecteurs à lire de près, montre donc que le président de la République, Emmanuel Macron, en refusant de ratifier l’ordonnance de 2017, s’est à la fois privé d’une simplification administrative, tout en donnant un blanc-seing supplémentaire aux démolisseurs qu’il semble tant aimer.
Précisons que cette ordonnance prévoyait d’autres dispositions très utiles permettant notamment à certains travaux d’être effectivement faits d’office par le ministère ou de protéger le patrimoine mobilier par la création d’un « instance de protection » symétrique de celle des immeubles.

Nous conclurons en publiant une carte postale ancienne (ill. 1) retrouvée par Julien Lacaze qui démontre encore mieux ce que nous écrivions dans nos derniers articles, et ce que nous avait dit Étienne Poncelet. Avant la construction d’un bâtiment en béton à côté de la chapelle (qui sera aussi détruit, pour être remplacé par un autre édifice aussi massif et mal intégré), on pouvait voir dans un seul panorama le Palais Rameau (qui se trouve hors de la photo à gauche) et la chapelle Saint-Joseph qui se trouvait dans l’axe de la travée centrale de ce monument. Cet ensemble urbain est dû au même architecte. Prétendre que cela ne mérite pas un classement relève de l’erreur manifeste d’appréciation, ce qui n’est certes pas la première pour le directeur général des Patrimoines.

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