Chapelle de Lille : mobilisation générale contre le ministère de la Culture

Le ministère de la Culture vient de publier un communiqué de presse pour justifier son abandon de la chapelle du collège Saint-Paul (ill. 1 et 2) à Lille qu’il refuse de protéger monument historique.
Il y avance trois arguments. Tous trois sont absolument irrecevables, et témoignent d’un niveau d’inconscience du ministère de la Culture qui touche au grandiose.


1. Auguste Mourcou (1823-1911)
Chapelle Saint-Joseph du Collège Saint-Paul (doit être détruite)
Photo : Didier Rykner
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Premier argument : cela va perturber les projets du maître d’ouvrage. Le rôle du ministère de la Culture n’est donc plus de protéger le patrimoine contre des maîtres d’ouvrages désireux de le détruire, mais bien de ne pas contrarier les malheureux qui seraient contraints de renoncer à leur projet, comme si aucune autre solution n’était décidément possible. Ce que dit le ministère, en prétendant que le projet de 120 millions d’euros, pour 5 000 à 8 000 étudiants, devrait être abandonné, est totalement faux. Comme nous l’a dit Étienne Poncelet, ancien architecte en chef des monuments historiques, très impliqué dans le combat pour la sauvegarde du monument, ce projet à 120 millions concerne pas moins de quatre sites différents dont la chapelle et ne peut en aucun cas être réduit à cette dernière qui n’en forme qu’une petite partie. Imaginons que celle-ci ait daté du XIIIe siècle, la seule solution aurait-elle été de la démolir pour ne pas faire de peine à l’Yncrea [1], ou aurait-on cherché à faire différemment ?


2. Auguste Mourcou (1823-1911)
Chœur de la chapelle Saint-Joseph du Collège Saint-Paul (doit être détruite)
Photo : Didier Rykner
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Deuxième argument, totalement irrecevable : l’intérêt patrimonial « insuffisant » de la chapelle. Or ceci est contesté par nombre de spécialistes du patrimoine dont Étienne Poncelet déjà cité (on peut lire ici son argumentaire). Et comme nous l’avons dit le directeur général des Patrimoines n’est de toute façon pas habilité à décider seul : il y a des commissions spécialisées qu’il aurait dû saisir pour en juger. Le ministère parle par ailleurs de l’« état très dégradé » de la chapelle, ce qui est un mensonge. Étienne Poncelet, dans une réponse au communiqué de presse, précise que : « le gros œuvre et la toiture sont dans un état passable, tout à fait aptes à être restaurés dans des conditions normales  ». Il nous a confirmé qu’elle n’a aucun problème structurel. C’est donc le ministère lui même, censé protéger le patrimoine, qui affirme faussement qu’un monument est en mauvais état et sans intérêt suffisant pour justifier sa destruction.

Ces deux premiers arguments étaient déjà ceux évoqués dans la lettre envoyée à Étienne Poncelet (voir l’article). Ce communiqué en rajoute un troisième, qui constitue réellement la cerise sur le gâteau, d’autant plus qu’il est présenté comme « décisif » dans le choix de ne rien faire : « le projet de nouveau campus intègre la restauration intégrale, avec le concours de l’État, du palais Rameau, édifice classé au titre des monuments historiques, actuellement sans utilisation et dont l’état est très dégradé […] abandonner ce projet, ce serait renoncer aussi à la restauration et à la réutilisation de ce monument historique ».

Cela mérite un développement.

Remarquons d’abord que la chapelle qui doit être détruite est du même architecte, Auguste Marcou, que le Palais Rameau classé monument historique, que celle-ci s’inscrit dans un ensemble architectural tout à fait remarquable, le collège Saint-Paul, et que ce dernier forme enfin un tout du point de vue urbain avec le Palais Rameau. Plutôt que d’être installée dans l’axe central du collège Saint-Paul, la chapelle a été déportée sur le côté pour se trouver exactement dans le prolongement de la travée médiane du Palais Rameau, ce qui se voit parfaitement sur les photos aériennes. Par ailleurs, comme nous l’a dit Étienne Poncelet, jusqu’aux années 1960, les deux monuments étaient en co-visibilité, avant que ne soit construit un immeuble en béton qui vient occulter cet effet. La chapelle, le collège Saint-Paul et le Palais Rameau constituent donc un ensemble cohérent que la destruction de la chapelle viendra rompre.


3. Vue Google Maps du Palais Rameau et du collège Saint-Paul avec la chapelle Saint-Joseph
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L’entretien et la restauration d’un monument classé n’est pas une faculté ou une option que pourrait choisir à sa guise le propriétaire d’un monument classé (en l’occurrence ici la mairie de Lille) comme pourrait le laisser penser le communiqué de presse. Il s’agit d’une obligation qui s’impose à lui, et qui n’est pas conditionnelle (« si je ne peux pas détruire, je ne peux pas restaurer »). Si le Palais Rameau était menacé, le ministère aurait par ailleurs la possibilité, dont on sait que par lâcheté ou par paresse il répugne à l’utiliser, d’imposer des travaux d’office.
Dans le cas qui nous occupe, cet argument est d’autant moins recevable que comme le dit Étienne Poncelet dans son communiqué « la restauration du palais Rameau […] est maintenant engagée et budgétisée depuis plusieurs mois. Cette opération dont le chantier doit démarrer prochainement n’a pas à être mis en balance avec le budget de l’opération du site de la chapelle. » Il y a bien ici une forme de chantage auquel il est regrettable que le ministère de la Culture se prête.

Une fois de plus, la direction générale des Patrimoines qui est clairement à la manœuvre dans cette affaire, refuse de faire son travail et conseille la ministre de la Culture de ne pas faire le sien.
Tout cela est très grave. Une lettre ouverte au président de la République, signée notamment par Stéphane Bern, a été publiée il y a deux jours sur Twitter. On y voit aussi la signature de Jacquie Buffin, « adjointe honoraire de Pierre Mauroy, maire de Lille, déléguée à la Culture et au Patrimoine », qui s’oppose ainsi ouvertement à la municipalité actuelle, pourtant l’héritière de Pierre Mauroy, ce qui prouve s’il le fallait que ce type de combat patrimonial n’est pas politique.
Il n’est d’ailleurs pas non plus franco-français puisque l’ONG européenne Europa Nostra dont l’objectif est la défense du patrimoine, vient de s’engager à ce sujet en acceptant d’être associé aux opposants au projet de destruction.

L’association Urgence Patrimoines [2] a engagé un recours pour contester, devant le tribunal administratif, la décision de ne pas poser d’instance de classement sur la chapelle. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il puisse être utile, même si ses chances de victoire nous paraissent hélas, par expérience, fort minces. Ce qui semble désormais pouvoir plus sûrement empêcher la destruction scandaleuse de cette chapelle est une mobilisation de tous les amoureux du patrimoine : n’hésitez pas à envoyer des mails et des messages à l’Élysée et au ministère de la Culture, ni à signer la pétition lancée par Urgences Patrimoine qui demande une instance de classement.

Didier Rykner

Notes

[1L’Yncrea, qui a acheté cette chapelle, est une fédération d’associations regroupant plusieurs écoles d’ingénieur, qui est elle-même une partie de la Catho de Lille.

[2Remarquons par ailleurs que cette association a proposé un contre-projet très mauvais et qui, s’il était mis en œuvre, ne serait pas beaucoup moins destructeur que la démolition pure et simple de la chapelle. Il s’agirait en effet notamment de cloisonner entièrement l’intérieur et de construire une serre sur le toit ! Il est regrettable que la lettre au président de la République y fasse référence.

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