Catho de Lille : de la chapelle à la chapelle

Comme beaucoup, nous avons appris la destruction programmée d’une chapelle de la Catho de Lille (l’Université Catholique) par un article paru sur le site internet La Gazette du Patrimoine, qui a lancé dans la foulée une pétition que nous avons d’ailleurs signée. Les photos que nous avons pu voir de l’édifice nous ont paru suffisantes pour nous intéresser de près à cette affaire dont on peut seulement regretter que nous ne l’ayons pas connue plus tôt, car elle est déjà bien avancée. Elle est édifiante sur bien des points et mérite d’être contée par le menu, car elle est permet d’aborder d’autres sujets patrimoniaux touchant cet établissement universitaire. Nous parlerons donc ici de destruction d’une chapelle, mais aussi de la restauration d’une autre, et de la vente d’un manuscrit enluminé, l’évangéliaire de Saint-Mihiel, récemment classé trésor national. Nous y évoquerons aussi, pour deux de ces dossiers, le rôle de la DRAC Hauts-de-France. Hélas, une fois de plus, ce ne sera pas pour en dire du bien.


1. Jean-Baptiste Maillard (1857-1929)
Chapelle de l’Institut Catholique de Lille
(en cours de restauration)
Photo : Didier Rykner
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2. Chapelle de l’Institut Catholique de Lille
(en cours de restauration)
Photo : Didier Rykner
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4. Nef de la chapelle de l’Institut Catholique de Lille en cours de restauration
Photo : Didier Rykner
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Il faut, d’abord, signaler que la Catho est une sorte de fédération. Elle regroupe en réalité plusieurs entités, dont chacune est indépendante et possède sa propre personnalité morale. Nous parlerons de deux d’entre elles : l’Institut Catholique de Lille d’un côté, constitué de plusieurs facultés, mais aussi d’hôpitaux et d’Ehpad, et l’Yncrea de l’autre, qui regroupe elle-même trois associations correspondant à trois écoles d’ingénieur. L’Institut Catholique occupe les locaux les plus anciens de la Catho, ce qui constitue les bâtiments d’origine, avec une chapelle centrale, désaffectée depuis longtemps, et qu’il n’est pas question de démolir. Bien au contraire, le projet de l’Institut, actuellement en cours, est de restaurer cette chapelle, due à l’architecte Jean-Baptiste Maillard, et de la rendre au culte. Nous avons pu visiter ce chantier (ill. 1 à 3), qui nous semble bien mené, sur un monument qui n’est pas protégé au titre des monuments historiques alors qu’il le mériterait assurément, comme d’ailleurs une grande partie des bâtiments construits par l’architecte Louis Dutouquet (ill. 3), d’après un premier projet établi par le baron Béthune [1]. Les vitraux, de style Art déco, ont fait l’objet d’un concours en mars 1929, remporté par Henry Morin pour les cartons, et Pierre Turpin pour l’exécution (ill. 5). Le chantier s’arrêta en cours de route et toutes les baies ne furent pas ornées.


3. Louis Dutouquet (1821-1903)
Une aile de l’Université Catholique de Lille
Photo : Didier Rykner
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5. Henry Morin (1873-1961) et
Pierre Turpin (1871-1944)
Vitraux du transept de la chapelle de l’Institut Catholique de Lille
Photo : Didier Rykner
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Incontestablement, cet établissement se soucie de son patrimoine qui, outre l’immobilier (dont une partie a déjà été restaurée) comprend une importante bibliothèque ancienne (actuellement conservée en lieu sûr), riche - outre l’évangéliaire de Saint-Mihiel - de 32 incunables dont certains enluminés et plusieurs très importants (même s’ils le sont moins que l’évangéliaire), et d’un millier d’ouvrages rares entre 1540 et 1600 [2]. Tout cela nécessitait des fonds importants, à la fois pour la restauration de la chapelle, et pour la mise en valeur de la bibliothèque (aménager un local à l’atmosphère contrôlée, restaurer les livres, recruter une conservatrice, ouvrir au chercheurs…). Le choix a été fait de vendre l’évangéliaire (ill. 6) pour financer tout cela, plus le maintien de la chaire de théologie, sachant que le produit de la vente ne peut servir à rien d’autre. On peut, certes, discuter une telle décision qui serait inacceptable pour un musée ou pour une bibliothèque publique. Mais il ne s’agit pas ici d’un établissement public : la Catho n’est financée que pour 8 % par l’État.


6. Abbaye de Reichenau, vers 1100
L’Ascension du Christ, enluminure de l’Évangéliaire de Saint-Mihiel
Photo : Wikipedia (Domaine public)
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Vendre le manuscrit était une chose. Ne pas le faire n’importe comment et à n’importe quel prix en était une autre. Et force est de constater, là encore, que la Catho a fait ce qu’il fallait, puisqu’elle a prévenu la DRAC en février 2019 qu’elle souhaitait vendre l’objet, espérant que le ministère de la Culture se montrerait intéressé afin de le conserver en France.
 Et que croyez-vous que fit la DRAC ? Rien. Absolument rien. Le recteur n’en a plus entendu parler. C’est donc un an après, devant le silence de l’État, qu’il s’est mis en quête d’un acquéreur, qu’il souhaitait au moins européen, et qui a pu être trouvé par l’intermédiaire du commissaire-priseur Claude Aguttes. Celui-ci a alors demandé le certificat d’exportation, qui a finalement été refusé. Si l’on se réjouit de ce refus, on ne comprend pas pourquoi tout cela n’a pas eu lieu un an plus tôt, faisant ainsi perdre un temps qui aurait été bien utile pour trouver des mécènes (sachant que la Catho a ses propres mécènes qui pourraient être intéressés), et la mettant par là même en difficulté de trésorerie pour la restauration de la chapelle. La vente était faite sous réserve de l’obtention du certificat. L’acquéreur a maintenu son achat (même si le prix a été revu à la baisse) et désormais, soit l’État l’achète, soit l’évangéliaire rejoint cette collection privée.


7. Auguste Mourcou (1823-1911) et
Henri Contamine (1818-1897)
Palais Rameau à Lille
Photo : Didier Rykner
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8. Auguste Mourcou (1823-1911) et
Henri Contamine (1818-1897)
Palais Rameau à Lille
Photo : Didier Rykner
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9. Auguste Mourcou (1823-1911) et
Henri Contamine (1818-1897)
Palais Rameau à Lille
Photo : Didier Rykner
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Contrairement à ce que nous avions d’abord pensé donc, la vente de ce manuscrit n’est pas du tout utilisée pour détruire l’autre chapelle, ni pour construire les bâtiments qui doivent la remplacer. Cela n’a rien à voir, et les décideurs même sont différents. Il s’agit, pour cette autre affaire, de l’Yncrea.
Soulignons d’abord la transparence dont celle-ci a fait preuve à notre égard. Sans ignorer que nous sommes hostile à cette démolition, elle nous a ouvert les portes de l’édifice et ne nous a rien caché de ses projets, ce qui n’est pas si fréquent dans un cas comme celui-là. Et une fois de plus, davantage même que pour le manuscrit de Saint-Mihiel, la DRAC Hauts-de-France porte une lourde responsabilité [3].
Comment ce projet de destruction est-il né ? Souhaitant s’agrandir, et s’agrandir en centre-ville, notamment pour accueillir davantage d’étudiants étrangers, l’Yncrea a cherché un endroit où construire à proximité de ses autres locaux et du Palais Rameau (ill. 7 à 9) qu’elle va récupérer en bail emphytéotique pour l’utiliser et le restaurer. Ce « Palais », en réalité un grand espace d’exposition assorti d’une serre, construit par les architectes Auguste Mourcou et Henri Contamine, appartient à la municipalité lilloise, sur des fonds donnés par Charles Rameau et à condition qu’il soit ouvert au public. Depuis fort longtemps, ce monument se dégrade (seule sa façade a été restaurée !) et n’est plus ouvert qu’à de rares occasions. La mairie a donc certainement été bien contente de le céder en bail emphytéotique à l’Yncrea qui devra ainsi restaurer pour elle cet édifice classé monument historique.


10. Auguste Mourcou (1823-1911)
Collège Saint-Paul
Photo : Didier Rykner
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11. Auguste Mourcou (1823-1911)
Théâtre dans le collège Saint-Paul
Photo : Didier Rykner
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Mais cela ne suffisait pas, et l’établissement a donc trouvé cette chapelle qui n’a à l’origine aucun rapport avec la Catho, mais se trouve dans l’enceinte du collège Saint-Paul, une autre institution privée qui était autrefois un collège jésuite, inauguré en 1876. Elle forme un tout avec les autres bâtiments de ce collège (ill. 10), dont un théâtre (ill. 11) aujourd’hui désaffecté (et qu’il n’est pas pour l’instant question de détruire). Son architecte est Auguste Mourcou, le même que celui du Palais Rameau (ill. 12 à 14). Une vue aérienne (ill. 15) montre d’ailleurs qu’elle forme avec ce dernier un ensemble urbain cohérent, qui à lui seul mériterait d’être conservé.


12. Auguste Mourcou (1823-1911)
Chapelle Saint-Joseph du
Collège Saint-Paul (doit être détruite)
Photo : Didier Rykner
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13. Auguste Mourcou (1823-1911)
Chapelle Saint-Joseph du
Collège Saint-Paul (doit être détruite)
Photo : Didier Rykner
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La chapelle elle-même possède un véritable intérêt architectural. En mauvais état, une restauration lui rendrait toutes ses qualités : une architecture en brique, cohérente avec les autres bâtiments du collège et ceux de la Catho, une belle nef et un ensemble remarquable de vitraux du XIXe siècle (ill. 16 à 20), la plupart signés Latteux-Bazin, un important atelier de maîtres-verriers actif dans la seconde moitié du XIXe et jusqu’au début du XXe siècle [4]. La plupart ont été offerts par d’anciens élèves.


14. Auguste Mourcou (1823-1911)
Nef de la Chapelle Saint-Joseph du
Collège Saint-Paul (doit être détruite)
Photo : Didier Rykner
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15. Vue aérienne Google Maps
On voit bien comment la chapelle s’inscrit
dans le collège Saint-Paul (en bas) et
se trouve dans le prolongement du Palais Rameau (classé monument historique)
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Que ces vitraux soient déposés sans être détruits, ainsi que tous les éléments mobiliers que contient la chapelle, ne suffit pas à excuser cette démolition. Ces vitraux ont été conçus pour ce lieu et, sauf semble-t-il pour deux ou trois d’entre eux (plusieurs mériteraient d’ailleurs une restauration importante), rien n’est prévu pour leur réutilisation. Comme c’est souvent le cas dans ce genre de dossier, il faut craindre qu’ils restent en caisse, oubliés dans un coin, avant de disparaître corps et bien. Si la chapelle de la Catho va récupérer le vitrail central représentant le Christ, celui-ci sera largement refait puisque les dimensions ne correspondent absolument pas. Bref, la chapelle va entièrement disparaître, pour être remplacée par un bâtiment dont nous ne jugerons pas de la qualité car il n’a surtout aucune légitimité.


16. Atelier Latteux-Bazin
Saint Basile et saint Grégoire
Vitrail
Lille, Chapelle Saint-Joseph
Photo : Didier Rykner
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17. Atelier Latteux-Bazin
Saint Pierre Damien fait dire une messe pour le repos de l’âme de ses parents
Vitrail
Lille, Chapelle Saint-Joseph
Photo : Didier Rykner
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18. Abside de la chapelle Saint-Joseph du collège Saint-Paul
Au centre le vitrail qui sera réinstallé à l’emplacement équivalent de la chapelle de l’Institut Catholique (ill. 4). On comprend qu’il faudra le transformer.
Photo : Didier Rykner
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Comme nous le dit l’Yncrea : jusqu’ici personne ne s’était préoccupé du sort d’un bâtiment non protégé, et ils ont obtenu toutes les autorisations. Celle de la mairie de Lille d’abord, qui a donné sans barguigner le permis de démolir, trop heureuse de se débarrasser par la même occasion du Palais Rameau. Celle de la DRAC Hauts-de-France ensuite, dont l’ABF a accepté la destruction, alors que la chapelle se trouve dans le périmètre d’un monument classé, qui plus est du même architecte. Comment cela a-t-il été possible ? Aucun spécialiste du patrimoine ou historien de l’architecture ne peut comprendre une telle erreur manifeste d’appréciation.


19. Atelier Latteux-Bazin
Blanche de Castille et saint Louis
Vitrail
Lille, Chapelle Saint-Joseph
Photo : Didier Rykner
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20. Atelier Latteux-Bazin
L’Adoration des Anges
Vitrail
Lille, Chapelle Saint-Joseph
Photo : Didier Rykner
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Que va-t-il se passer maintenant ? Munie de tous les viatiques nécessaires, l’école peut commencer la démolition dès demain, après le passage du maître-verrier chargé de déposer les vitraux. La destruction doit en effet avoir lieu pendant les vacances scolaires pour ne pas perturber les activités du collège. C’est donc maintenant qu’il faut agir. Tant que le bâtiment est debout, il faut s’opposer à sa disparition, en signant la pétition, en interpellant le ministre de la Culture, la DRAC, l’Yncrea… Du côté du ministère, seule une instance de classement pourrait bloquer les choses, à condition toutefois qu’elle soit suivie d’un véritable classement. Ou peut-être l’Yncrea pourrait-elle renoncer d’elle-même devant cette levée de bouclier, et trouver un autre projet : on ne construit pas une école sur les ruines d’une église, surtout quand on s’appelle la Catho.

Concluons sur une note positive qui est aussi une suggestion : l’Institut Catholique vend l’évangéliaire pour conserver le reste de sa bibliothèque. Il serait vertueux que celle-ci soit classée monument historique. Or, le recteur de l’institution, Pierre Giorgini, nous a affirmé qu’ils y seraient tout à fait favorables, car l’objectif est bien la conservation de cet ensemble. On sait donc ce qu’il reste à faire au ministère, à part sauver la chapelle et certainement protéger cet ensemble de bâtiments, Catho et collège Saint-Paul : classer monument historique, avec l’assentiment de son propriétaire, les 32 incunables et les quelque 1000 ouvrages rares de la bibliothèque, afin d’assurer sa pérennité.

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