Un préfet et un député contre la sauvegarde de la caserne Gudin

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La caserne Gudin à Montargis
Photo : Collectif #sauvonsgudin
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Comme nous l’avons écrit dans un premier article, le 29 juin dernier, la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) avait demandé la protection de la caserne Gudin. Sans attendre l’inscription qui devait découler de ce vote (même si celui-ci est consultatif, le préfet suit généralement cet avis), le ministère de la Culture décidait de placer une instance de classement sur le bâtiment protégeant celui-ci pendant un an en attendant qu’il soit définitivement sauvé. Mais cette décision ne plaît pas à tout le monde, et des pressions se font jour de deux côtés qui voudraient faire renoncer le ministère. Il semble néanmoins que la direction des Patrimoines soit bien décidée à y résister. Faisons le point sur ces vents contraires qui soufflent sur la caserne, le premier venant du préfet de région, autorité qui devrait signer l’inscription monument historique, et la deuxième du député du Loiret Jean-Pierre Door.

L’inscription monument historique n’est toujours pas effective, près de quatre mois après le vote de la CRPA (dont la période d’été). Cela n’a en soi rien d’anormal puisqu’il y a des délais administratifs à respecter : une fois le PV de la réunion précédente publiée, il faut le temps d’établir l’arrêté. Or le préfet du Centre-Val-de-Loire s’appelle Régine Engström. Nommée à ce poste il y a un an, elle était auparavant une des directrices directrice des partenariats stratégiques et de la responsabilité sociétale et environnementale chez Nexity. Mais Nexity n’est autre que le promoteur qui veut aujourd’hui détruire la caserne Gudin pour une opération immobilière. Un promoteur qui avait déjà acquis la caserne au prix d’un euro symbolique auprès de la ville de Montargis, qui l’avait pourtant payée à l’État 750 000 €, une opération qui pouvait déjà prêter le flanc à la critique.

Nous avons donc contacté la préfecture et avons obtenu une réponse très circonstanciée du secrétaire général, Benoît Lemaire : « ce dossier est passé en Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) fin juin, qui a donné un avis favorable à l’inscription. Le préfet de département a un an pour décider s’il accorde ou non l’inscription. Mais ce n’est pas la préfète qui décidera car étant effectivement une ancienne directrice chez Nexity, il y aurait un conflit d’intérêt. Elle s’est donc déportée, comme c’est naturel, et c’est moi qui instruit le dossier. Par ailleurs, la ministre a pris une décision d’instance de classement, qui a a été notifiée en juillet à la communauté montargoise. Nous disposons d’un an, et il n’y a aucune raison de se précipiter. Il est nécessaire d’avoir des finances pour réhabiliter un site et il est de notre devoir de fonctionnaire de ne pas faire les choses à la légère, en ayant tous les éléments en main, ce qui est incompatible avec une décision trop rapide ».

Rappelons que le secrétaire général de préfecture est le principal collaborateur du préfet et qu’il est placé sous l’autorité de ce dernier. Prétendre qu’une décision prise par le secrétaire général ne dépendrait aucunement du préfet est une pirouette qui en fera sourire plus d’un. Nous aimerions savoir en quoi celui-ci aurait d’ailleurs davantage d’éléments en main sur la question patrimoniale - la seule qui vaut pour une protection monument historique - que les experts de la CRPA qui ont décidé de voter pour l’inscription et du ministère qui souhaite sauver le monument. Signalons par ailleurs que lors de cette séance, le représentant du préfet était la secrétaire générale pour les Affaires régionales, elle aussi sous les ordres directs du préfet. Et celle-ci ne s’est pas privée de faire comprendre avant le vote qu’elle était défavorable à cette protection, même si elle fut ensuite désavouée par la commission.

Tout cela confirme donc nos informations : la préfète du Centre-Val-de-Loire est hostile à la protection de la caserne Gudin, ce qui, en raison du poste préalablement occupé par cette dernière, pose une vraie question de conflit d’intérêt [1]. La seule manière de démontrer l’absence de ce conflit serait évidemment de suivre l’avis de la CRPA, compétente dans ce domaine, qui est bien d’accorder l’inscription.

La seconde intervention est celle du député du Loiret Jean-Pierre Door, maire de Montargis jusqu’en 2018, quelques mois avant l’achat de la caserne à l’État par la ville. Farouche défenseur de l’opération immobilière et donc de la démolition, celui-ci connaît bien la ministre de la Culture. Celle-ci, bien sûr, ne pouvait pas refuser de le recevoir, alors qu’il venait tenter de la convaincre d’abandonner la caserne à son sort.

Nous avons interrogé le ministère à ce sujet, qui nous a fait la réponse suivante : « Le ministère de la culture souhaite qu’une solution soit trouvée localement permettant au projet retenu par la collectivité de se développer tout en respectant l’intégrité de la caserne Gudin. C’est l’objectif d’une instance de classement dont la durée est d’un an. Dans l’éventualité d’un classement au titre des monuments historiques, la décision appartiendrait en tout état de cause à la ministre. » Jean-Pierre Door, pour sa part, estime avoir réussi à convaincre la ministre. Voici sa réponse in extenso : « oui je conteste le fait que l’État a vendu cet espace militaire désaffecté depuis 15 ans, sans aucune contraintes, en 2019, après d’âpres discussions. Et maintenant on vient annoncer qu’une décision bloquerait toute rénovation, projet, au titre d’un éventuel patrimoine historique !!! Découvrir une telle situation après 15 années de négociation et une signature de l’État sans réserve pose un questionnement que Mme là Ministre a compris. Nous attendons les décisions. »

Rappelons que le classement d’un monument historique ne doit être motivé que par l’intérêt historique, architectural et artistique de celui-ci, ce que tous les spécialistes du patrimoine considèrent évident pour des casernes de ce type qui sont pourtant très souvent démolies, comme encore récemment celle de Verdun. Le ministère veut utiliser le délai d’un an de l’instance de classement pour trouver une solution. C’est tout l’objectif, effectivement, d’une telle procédure. Mais pour trouver une solution, il faut que les acteurs soient de bonne volonté, ce qui ne semble manifestement pas le cas aujourd’hui, ni du côté du préfet, ni de celui des politiques locaux. Un préfet peut-il décider de la destruction d’un monument historique contre la volonté de la commission ad hoc et du ministère de la Culture, surtout s’il existe une forte présomption de conflit d’intérêt ? Un député peut-il convaincre une ministre de la Culture de ne pas soutenir ses services ? Pour cette affaire, nous espérons sincèrement que la réponse sera négative. L’avenir le dira.

Didier Rykner

P.-S.

Pour aller plus loin, nous renvoyons vers les articles parus sur le site de Sites & Monuments, association particulièrement en pointe sur ce dossier.

Notes

[1Remarquons par ailleurs que Régine Engström, qui était directrice des espaces verts et de l’environnement de la ville de Paris entre 2009 et 2014, porte donc une responsabilité dans l’affaire des Serres d’Auteuil (voir notamment cet article), ce qui n’en fait pas a priori une amie du patrimoine.

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