Bourges : une maison menacée dans le secteur sauvegardé

La via della Conciliazione à Rome, initiée par Mussolini même si elle ne fut achevée qu’en 1950, avait pour objectif de dégager l’espace et la perspective devant la basilique Saint-Pierre et la place créée par le Bernin. Celui-ci avait voulu un espace fermé par sa colonnade, donnant un effet de surprise après le cheminement dans le quartier qui se trouvait à l’emplacement de la voie actuelle et qui fut détruit, avec les églises et les palais qui s’y trouvaient. Ce type d’aménagement faisait écho à celui qui avait, au XIXe siècle, créé de larges parvis devant les cathédrales en démolissant les maisons du moyen-âge qui se pressaient devant, permettant ainsi au visiteur de découvrir au dernier moment la façade du monument.


1. Maison que la municipalité souhaiterait acheter pour la détruire
Celle-ci fait s’étend largement sur l’arrière, c’est tout le bâti
jusqu’au jardin qui doit devrait être démoli
Photo : Sites & Monuments
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Cette méconnaissance de l’urbanisme du passé, et ce mépris pour le « petit patrimoine » pour tenter de mettre en valeur uniquement les « grands » monuments, encore à l’œuvre dans les années 1960, semble faire un retour en force à notre époque où l’inculture est très répandue, notamment chez les hommes politiques. C’est ainsi que de nombreux maires, qui se piquent pourtant d’aimer le patrimoine, croient nécessaire et intelligent de démolir des maisons anciennes qui selon eux boucheraient la vue sur leur église ou leur cathédrale.
Nous avions vu à l’œuvre ce phénomène par exemple à Saint-Florentin (voir l’article), où la mairie, sous prétexte de dégager les perspectives sur l’église, souhaite démolir plusieurs édifices faisant pourtant partie du site patrimonial remarquable et dont la destruction est à ce titre impossible, à moins de décréter un état de péril souvent provoqué ou imaginaire. C’est aussi ce qu’on observe à Perpignan où le maire Louis Aliot a poursuivi la politique de destruction de son prédécesseur avec la bénédiction de l’État (voir nos articles).


2. Vue sur la place où se trouve, au fond, la maison devant être démolie
Photo : Sites & Monuments
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3. Vue sur la cathédrale que semble d’après la municipalité gêner la maison à démolir (à droite au fond sur la photo)
Photo : Sites & Monuments
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La même chose semble maintenant vouloir se reproduire à Bourges, dans le secteur sauvegardé, que la mairie affirme pourtant vouloir renforcer et étendre. Une maison ancienne se trouvant à l’angle des rues Coursalon, des Beaux-Arts et Michel Servet (ill. 1 et 2) est en effet menacée. L’adjoint à l’urbanisme, Hugo Lefelle, souhaite en effet faire acheter ce bâtiment par la municipalité afin de le démolir pour, selon un article paru dans Le Berry Républicain le 29 mars dernier, « intégrer l’emprise foncière » au projet d’aménagement qui touche ce secteur. Selon l’adjoint : « Très clairement, ce bâtiment un peu coincé interroge » car cet îlot « obstruerait » la vue sur la Porte-Jaune menant à la cathédrale (ill. 3) ! Détruisons autour des monuments médiévaux pour mieux les voir monuments en niant le fait qu’ils s’inscrivent dans un tissu urbain historique. Il n’est même plus question de prétexter le mauvais état de l’édifice, ou le coût de sa restauration : seule compte la volonté des élus. Le plus incompréhensible peut-être est qu’on ne peut même pas ici a priori invoquer l’inculture de l’adjoint : celui-ci a fait des études d’histoire et d’histoire de l’art comme le signale son compte Linkedin...


4. À gauche, maison qui doit être détruite
(on pourrait croire qu’il s’agit de plusieurs édifices, mais il s’agit du même bâtiment)
Photo : Sites & Monuments
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Suivant le PSMV, cet immeuble est non protégé, ce qui prouve s’il en était besoin que le règlement de ce secteur sauvegardé est mauvais, insuffisamment protecteur et mérite d’être revu. Cette maison de très bonne qualité architecturale devrait bien entendu être conservée car elle fait partie du tissu ancien qu’un site patrimonial remarquable a justement pour objet de protéger. Quoi qu’il en soit, le PSMV actuel prévoit que l’immeuble peut-être « conservé, amélioré ou remplacé ». S’il pourrait aisément être amélioré en transformant de manière plus esthétique la boutique du rez-de-chaussée, on ne voit pas ce qui autoriserait à le démolir, compte tenu par ailleurs de son bon état de conservation. Car une destruction obligerait à un remplacement par une construction de taille équivalente, ce qui serait une aberration (et ce que ne souhaite d’ailleurs pas la mairie, qui veut faire table rase). Et si le nouveau règlement en préparation autorisait sa destruction pure et simple, et que l’architecte des bâtiments de France autorisait cela, ce serait la preuve que Bourges est plus que jamais menacée. Nous avons contacté l’ABF qui nous a précisé ne pas avoir encore été saisie de cette question. Nous n’avons pas réussi à joindre l’adjoint à l’urbanisme, mais Corinne Trussardi, adjointe au patrimoine, nous a répondu qu’« aucune décision n’est prise à ce stade, ce sont des réflexions, scénarii faits par un cabinet d’étude » ajoutant que bien entendu « rien ne sera fait sans l’accord de l’ABF ».


5. À droite, après la maison à colombage, la maison qui doit être détruite
Photo : Didier Rykner
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Ce projet doit-être tout simplement abandonné. Il est d’autant plus incompréhensible qu’outre l’atteinte patrimoniale qu’il porterait à la ville, une telle destruction entrainerait un coût supplémentaire, pour une opération d’aménagement urbain dont le budget est déjà prévu à 6 millions d’euros. Un montant très élevé pour une mairie qui affirme pourtant avoir du mal à planifier les travaux sur le musée et sur ses monuments historiques en péril ! Cette maison doit être conservée telle quelle et l’argent prévu pour son acquisition et sa démolition reporté sur de véritables opérations de restauration du patrimoine.

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