Menaces sur des bâtiments Art Déco à Paris

Un site du ministère de la Culture consacré au patrimoine du XXe siècle affirme en exergue : « Depuis sa création, le ministère de la Culture et de la Communication protège et restaure le patrimoine architectural du XX° siècle. » Rien n’est moins sûr, et de nombreuses affaires récentes prouvent le contraire. Car aujourd’hui, à Paris, plusieurs bâtiments prestigieux datant des années 1930, dus souvent à des architectes de renom, sont menacés de destruction.

Les bâtiments de la Marine Nationale

1. Auguste Perret (1874-1954) et
Gustave Perret (1876-1952)
Laboratoire de la Marine
Paris, 8, bd Victor, 15e arrdt
Photo : D. Rykner
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Alors que le prestigieux Hôtel de la Marine est menacé de vente et son mobilier de dispersion (voir l’article), le lieu devant abriter le fameux « Pentagone français » où seront regroupés tous les services du ministère de la Défense se trouve, lui aussi, confronté à une grave menace patrimoniale.

Le nouveau bâtiment doit en effet être construit en lieu et place de ceux de la Marine Nationale, boulevard Victor à Paris. Cet ensemble a été édifié par Auguste et Gustave Perret entre 1928 et 1956. Il contient également ce qu’on appelle le « Bassin des Carènes », « l’un des plus anciens laboratoires d’hydrodynamique navale au monde », qui servait à tester la résistance des navires à partir de maquettes [1] Le bassin de giration, circulaire, est le seul encore en service aujourd’hui.. Seul l’édifice dénommé « Laboratoire de la Marine » (ill. 1), doit rester debout. Encore n’est-il protégé qu’extérieurement (façades et toitures) : on peut tout craindre pour l’intérieur.


2. Auguste Perret (1874-1954) et
Gustave Perret (1876-1952)
Bâtiment du site Balard du
Ministère de la Défense, Paris
Photo : D. Rykner
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Dans ce grand quadrilatère, tous les bâtiments ne sont probablement pas à conserver (certains semblent être des préfabriqués modernes). Mais une construction Art Déco comme celle dont nous montrons ici la façade (ill. 2) ne mérite évidemment pas d’être détruite.
Le maire de Paris vient de publier un communiqué où il s’appuie sur le vœu de la Commission du Vieux Paris. Celle-ci souhaitait que l’Etat « décide l’inscription du bassin de giration au titre des monuments historiques, et procède à une étude historique et patrimoniale complète des autres bâtiments existants ainsi qu’à une analyse de leur capacité de transformation et d’adaptation, afin que tout soit mis en oeuvre pour les conserver. » Bertrand Delanoë « déplore vivement [la délivrance du permis de démolir, une] décision précipitée qui portera directement atteinte à la protection du patrimoine parisien. » [2]

Comment admettre que Le Havre, ville reconstruite par Auguste Perret après la guerre, ait été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et accepter que ses autres constructions soient dénaturées, comme à Amiens (voir article), ou détruites, comme à Paris ? L’association Docomomo, qui se donne pour objectif de protéger le patrimoine du XXe siècle, a lancé une pétition dont on peut trouver les modalités sur leur site.

L’Hôtel Reichenbach

3. Jean-Charles Moreux (1889-1956)
Hôtel Reichenbach, extérieur (date inconnue)
Paris, rue Alfred Dehodencq, XVIe arrdt
Photo : D. R.
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4. Jean-Charles Moreux (1889-1956)
Hôtel Reichenbach, intérieur (date inconnue)
Paris, rue Alfred Dehodencq, XVIe arrdt
Photo : D. R.
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Construit par l’architecte Jean-Charles Moreux, l’Hôtel Reichenbach était l’un des plus beaux bâtiments Art Déco de la capitale (ill. 3 et 4) [3] . Une partie de son mobilier d’origine est aujourd’hui conservée au Musée des Arts Décoratifs et, très récemment, un tableau de Pierre Bonnard qui l’ornait, a été donné au Musée d’Orsay pour dépôt au Musée Bonnard au Cannet (voir brève du 31/1/09).
Suite à un long abandon et à un début d’incendie, son décor intérieur semble avoir en grande partie disparu. Malgré son état désastreux (ill. 5), une restauration serait possible et souhaitable.


5. Jean-Charles Moreux (1889-1956)
Hôtel Reichenbach, état févrire 2009
Paris, rue Alfred Dehodencq, XVIe arrdt
Photo : D. Rykner
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Ce monument, qui ne bénéficie d’aucune protection au titre des monuments historiques, doit pourtant être détruit. Le permis de démolir demandé par son propriétaire, l’Ambassade d’Arabie Séoudite, a été accordé le 10 février dernier par la Préfecture de Paris. On attend impatiemment que Bertrand Delanoë ou Christine Albanel s’émeuve de cet acte de vandalisme.

Le Hall d’accueil de la Banque de France


6. Permis de construire pour le hall
de la Banque de France
Photo : D. Rykner
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Au 31 rue Croix-des-Petits-Champs à Paris, le visiteur qui entre dans la Banque de France débouche sur un grand hall Art Déco meublé notamment de tables dues à Sue et Mare, les célèbres architectes et décorateurs des années 1930 [4] . Cet ensemble, qui n’est pas protégé au titre des monuments historiques, doit être entièrement détruit pour être remplacé par un auditorium, des bureaux, des salles de réunions et une aire de restauration. Le permis de construire (qui entraîne automatiquement permis de démolir) a été accordé le 5 janvier 2009 dans l’indifférence générale (ill. 6). Nous avons essayé d’en savoir plus en interrogeant par mail le 9 mars (puis en appelant au téléphone) le service de communication de la Banque de France. Nous n’avons à ce jour pas reçu de réponse. Il fallait, il est vrai, trouver le temps nécessaire durant les quelques heures (10 h-12 h et 13 h 30-16 h) qui lui sont imparites.
A l’époque de l’euro, alors que les missions de la Banque de France ne cessent de se réduire, ont peut tout de même s’interroger sur la nécessité pour elle de créer un auditorium et de nouveaux bureaux et salles de réunions...

Addenda (24 mars 2009) : Alors que cet article était déjà en ligne, nous avons finalement été rappelé par la Banque de France. Monsieur Pierre-Yves Schulz, architecte de la banque, qui joue le rôle de maître d’ouvrage dans les travaux du bâtiment du 31, rue Croix-des-Petits-Champs, nous a expliqué ce projet, selon lui indispensable car l’établissement manquerait cruellement de salles de réunions. Si le hall ne va pas être « entièrement détruit » comme nous l’écrivions plus haut et comme nous pouvions le déduire de l’affichage du permis de construire (en l’absence, rappelons-le, de réaction de la Banque de France que nous avions pourtant contactée), le résultat n’en sera pas très éloigné. Il s’agit en effet de construire un auditorium suspendu, qui occupera l’essentiel de l’espace (il restera 3 mètres entre le sol du hall et le nouveau plafond formé par le plancher de l’auditorium). Tous les guichets de l’ancienne banque qui entourent le hall seront détruits, les tables de Sue et Mare seront déplacées ailleurs dans le bâtiment. Tout ce qui faisait l’intérêt de cet espace aura donc disparu.
Ce projet a fait l’objet d’un concours auquel ont répondu 75 agences. Cinq ont été retenues par le comité de pilotage, l’équipe Moatti-Rivière sélectionnée ayant été, selon Pierre-Yves Schulz, la plus respectueuse de l’ « esprit du lieu », sachant que cette contrainte faisait partie du programme. On n’ose imaginer ce qu’aurait été l’inverse...

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