Anne Hidalgo envoie les églises à La Chapelle

Rue du Pré, futur emplacement de la COARC et de la DECH
et son riant environnement de décharge publique
Photo : Didier Rykner
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Anne Hidalgo vient de confirmer son indifférence totale pour le patrimoine religieux parisien par une décision passée inaperçue et qui pourrait paraître anodine mais qui aura de graves répercussions sur les quelques restaurations planifiées pour les années à venir. Nous avons déjà expliqué pourquoi le « plan église », présenté comme sans précédent, n’est en réalité que la poursuite de la politique désastreuse menée par la précédente municipalité à l’époque Delanoë, qui n’accordait en moyenne qu’une douzaine de millions d’euros chaque année aux restaurations des édifices cultuels (voir l’article). Mais même les restaurations prévues ne pourront pas être menées toutes à leur terme comme l’aurait admis, en interne, la maire de Paris, selon des sources syndicales.

Elle a en effet décidé, le 25 juillet dernier, que les services de la Direction des Affaires Culturelles en charge des restaurations du patrimoine municipal, c’est-à-dire le département des édifices cultuels et historiques (DECH), qui restaure les bâtiments, et la Conservation des œuvre d’art religieuses et civiles (COARC), qui prend en charge le mobilier et les peintures murales, devraient déménager à compter d’avril 2017 à la Porte de la Chapelle, rue du Pré, dans un ancien centre de tri postal récemment acquis par la mairie de Paris. Ils sont aujourd’hui logés au cœur de Paris, dans le bâtiment du Crédit Municipal, rue des Francs-Bourgeois.
Ce déménagement, qui n’aurait rien de choquant pour des services sédentaires, est extrêmement pénalisant pour ceux dont le rôle est d’être en permanence sur le terrain.

Comme le révèle une note interne très circonstanciée sur ce déménagement, les conséquences sont les suivantes :

 Départ de nombreux agents et perte du savoir faire correspondant : la nouvelle localisation et les contraintes que cela fait peser sur certaines personnes en terme de temps de trajet les ont incité à demander leur mutation. Pour l’instant, la seule section administrative de la DECH, dont le rôle est fondamental dans l’exécution et le suivi du plan église, va voir partir quatre personnes sur six. Leur départ, le recrutement et la formation des personnes qui remplaceront ces postes très spécifiques et qui pour certains sont occupés par des personnes ayant beaucoup d’expérience vont nécessairement perturber pendant plusieurs mois la passation et les suivis des marchés.
Pour la COARC, ce sont six agents sur douze qui souhaiteraient quitter le service à terme en raison de ce déménagement. Certains vivent d’ailleurs cela - et on les comprend - comme une sanction. Rappelons qu’il s’agit de s’occuper de 40 000 œuvres dans les églises de Paris, de 850 dans l’espace public et de 5000 autres conservées au dépôt des œuvres d’art (voir notre article).
il n’est pas sûr par ailleurs que l’environnement particulièrement plaisant et rieur des bureaux de la Porte de la Chapelle (ill.) soit très attractif pour les agents qui seront recrutés, et que les meilleurs soient intéressés par un cadre de travail aussi peu accueillant.

 Importantes pertes de temps dans l’exécution des missions : les temps de déplacement entre leur bureau et les sites (églises notamment) qu’ils sont chargés d’entretenir, de conserver et de restaurer vont devenir très pénalisant. Un tiers des édifices religieux se trouve au centre de Paris, non loin du siège actuel de la COARC et du DECH, les autres sont évidemment beaucoup plus facilement accessibles de cet emplacement que de la Porte de la Chapelle qui est excentrée et mal desservie (une seule ligne de métro, et une seule ligne de bus parisien). Le rapport interne donne, à titre d’exemple, l’augmentation du temps de transport sur une semaine pour un ingénieur du DECH : 3 h 45.
Si le DECH est amené à intervenir sur des édifices répartis dans tout Paris, la COARC, en charge des objets, est majoritairement concernée par les églises des six premiers arrondissements, historiquement les plus riches. Est-il raisonnable de l’envoyer loin des œuvres qu’elle conserve et qu’elle restaure ? La COARC est également en charge du dépôt de la banlieue parisienne, pour lequel le temps de transport va passer de 45 mn à 1 h 20.

On se rappelle que lors de la conférence de presse de la Ville de Paris présentant les actions sur les églises (voir l’article), Bruno Julliard, l’adjoint au patrimoine, promettait que cela irait très vite. Un peu exagéré sans doute, mais plusieurs des chantiers devraient réellement débuter en 2017, qui sera donc une année fort chargée pour les services de la ville, qui auraient certainement mieux à faire que de la passer dans les transports en commun.

Sachant que le Comité d’Histoire de Paris doit également quitter la rue des Francs-Bourgeois pour s’installer rue du Pré (alors que ce service est notamment en charge d’organiser des expositions et travaille avec les musées, bibliothèques et archives localisés au centre de la capitale) et que la Commission du Vieux Paris (!) s’y trouve déjà, on constate que ce sont presque tous les services patrimoniaux qui sont concernés par cet exil périphérique. Il s’agit, nous dit-on, de les regrouper. Mais ils le sont déjà, au sein des immenses bâtiments du Crédit Municipal : la DECH et la COARC sont au troisième étage, le Comité d’Histoire au quatrième étage. La mairie, ayant vendu l’hôtel de Coulanges, veut y recaser les services qui s’y trouvaient, ce qui était pourtant possible au deuxième étage, qui est vide. Exit donc les services patrimoniaux, quand le reste de la Direction des Affaires Culturelles, en particulier ceux qui gèrent la Nuit Blanche, l’art contemporain ou le cinéma, restera au centre de Paris. Le regroupement des services n’est qu’un prétexte, l’Atelier de Restauration et de Conservation des Photos de la Ville de Paris (ARCP), qui dépend de la sous-direction du patrimoine, restera d’ailleurs dans le 4e arrondissement.
Tout cela est cohérent avec la politique actuelle de la maire, qui privilégie la « culture vivante » au patrimoine poussiéreux. D’autres services étaient pressentis pour aller rue du Pré [1]. Ceux-ci ont refusé pour les mêmes raisons légitimes : ils doivent se déplacer. Le dossier est donc remonté jusqu’à Anne Hidalgo qui a tranché : le patrimoine ira rue du Pré.

La rue du Pré n’a pris ce nom qu’en 1920. Elle s’appelait autrefois la rue du Pré-Maudit. Tout un symbole. Le Diocèse de Paris qui a, au contraire de la municipalité, rapatrié ses services techniques au centre de la capitale, devrait peut-être envoyer un exorciste à l’Hôtel de Ville.

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