Alexandre Séon (1855-1917). La beauté idéale

Quimper, Musée des Beaux-Arts, du 19 juin au 28 septembre 2015.
Valence, Musée d’Art et d’Archéologie, du 8 novembre 2015 au 28 février 2016.

1. Vue de la première salle de l’exposition Séon
Photo : Didier Rykner
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Les lecteurs de La Tribune de l’Art pourraient s’attendre à lire une recension de l’exposition Alexandre Séon par Jean-David Jumeau-Lafond, spécialiste de l’art symboliste, et qui écrit souvent sur ce site les articles sur cette époque. Mais cette rétrospective, justement, est due à cet historien de l’art qui ne pouvait pas se critiquer lui même !

La tâche nous revient donc, et cela n’étonnera pas le lecteur d’apprendre que nous avons beaucoup admiré cette rétrospective. Non par complaisance – le dit lecteur sait que ce n’est pas notre genre – mais parce qu’on ne pouvait pas s’attendre à autre chose de la part de Jean-David Jumeau-Lafond. Il ne collabore pas à La Tribune de l’Art pour rien, et l’on peut trouver dans l’exposition tout ce que nous attendons, en général, d’un tel exercice : une vision claire de l’œuvre de l’artiste, une muséographie sobre et mettant bien en valeur les tableaux, des cartels pédagogiques et, surtout, car c’est ce qui restera, un catalogue exemplaire : des essais abordant les principaux thèmes, des notices détaillées et replaçant les œuvres dans leur contexte, avec une bibliographie et un historique détaillés, une chronologie, un index… Ajoutons que l’ouvrage est très bien édité avec un grand respect des coloris, et on ne pourra que féliciter, outre le commissaire scientifique, le Musée des Beaux-Arts de Quimper, son directeur Guillaume Ambroise (qui a écrit une très intéressante étude sur Séon et Bréhat) et les deux autres auteurs (Delphine Durand et Jacques Beauffet) pour une entreprise aussi réussie qui remet en pleine lumière un artiste connu des amateurs mais qui n’avait jusqu’à présent jamais bénéficié d’une vraie rétrospective.


2. Alexandre Séon (1855-1917)
La Pêche, vers 1880
Huile sur toile - 207 x 138 cm
Collection particulière
Photo : Didier Rykner
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3. Alexandre Séon (1855-1917)
Printemps, vers 1883
Huile sur toile - 80,5 x 65 cm
Paris, collection particulière
Photo : Didier Rykner
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Même si on ne peut résumer Séon à sa proximité avec Pierre Puvis de Chavannes (Jean-David Jumeau-Lafond tient à souligner tout ce qui le différencie d’un peintre dont il fut très proche mais avec qui il finit par se brouiller), c’est cette parenté stylistique qui saute d’abord aux yeux du visiteur. Si Crépuscule et Temps gris, deux des premiers paysages, mêlent à cette influence celle de Corot, si La Chasse et La Pêche (ill. 2), deux grandes toiles aux titres et aux sujets proches de Puvis, ont des coloris beaucoup plus vifs que les siens, d’autres œuvres telle la grisaille Le Printemps (ill. 3) ou de nombreux dessins préparatoires datant des mêmes années 1880 sont si comparables à celui-ci qu’on pourrait facilement se méprendre. Rien d’étonnant à cela : Séon aida Puvis de Chavannes dans plusieurs de ses entreprises décoratives (Musée de Lyon, Panthéon et Musée d’Amiens) ce qui lui valut le qualificatif d’élève (c’est ce qui était écrit sur les livrets des Salons) ou de disciple.


4. Alexandre Séon (1855-1917)
Les Saisons (projet pour le plafond de la salle
des Mariages de la mairie de Courbevoie, 1884
Huile, encre et sanguine sur toile - 125 x 165 cm
Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Photo : Didier Rykner
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Comme Puvis, Séon ambitionnait de devenir décorateur. Hélas pour lui, il n’obtint que peu de murs à peindre : il gagna le concours pour la Mairie de Courbevoie (ill. 4) mais échoua par la suite dans toutes ses autres tentatives, à l’exception, vingt ans plus tard, d’un décor privé qui subsiste encore dans la chapelle du château de l’Orfrasière en Indre-et-Loire, donné au département des Hauts-de-Seine [1]. Beaucoup des peintures de Séon possèdent un caractère monumental qui s’apparente à celui de panneaux décoratifs. Il est indéniable que le manque de commandes dans ce domaine fut un des grands regrets de sa vie.

5. Alexandre Séon (1855-1917)
Le Sâr Joséphin Péladan, 1891
Huile sur toile - 132,5 x 80 cm
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Photo : Wikipedia/Domaine Public
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Puvis de Chavannes n’est pas le seul artiste que l’on peut invoquer pour expliquer l’art de Séon. Il fut, dans l’atelier d’Henri Lehmann, le condisciple de Georges Seurat à qui le lia une grande amitié. Il fut un temps adepte du divisionnisme, qu’il mêla à la manière de Puvis. A sa façon, Séon fut également un théoricien, réfléchissant au rôle symbolique des couleurs mais aussi des lignes. « Les lignes ascendantes et obliques vers la droite associées aux couleurs chaudes expriment bonheur et joie, les lignes descendantes et obliques venant de la gauche associées à des couleurs froides suggèrent mélancolie et abattement ». Jean-David Jumeau-Lafond résume ainsi les idées du peintre en soulignant que leur application n’est en aucun cas systématique. C’est d’ailleurs ce que l’on constate dans l’exposition où les œuvres ne peuvent qu’en partie s’analyser à travers ce prisme.

S’il exposa aux deux salons « officiels » (Salon national des Beaux-Arts et Salon des Artistes français), Séon fut également très proche du Sâr Péladan et de la Rose+Croix. On ne peut, dans le cadre de cet article, résumer simplement ce phénomène. Confrérie à vocation esthétique, l’Ordre de la Rose+Croix catholique du Temple et du Graal fut créé par Joséphin Péladan et 1891 et le premier Salon de la Rose+Croix eut lieu en 1892. Séon participa à cinq des six Salons et y exposa une centaine d’œuvres en tout. L’un de ses chefs-d’œuvre est le portrait du Sâr du Musée des Beaux-Arts de Lyon (ill. 5) où l’on voit le mage, dans un grand manteau mauve, sur un fond brun, de profil, hiératique avec sa grande barbe brune qui le fait ressembler – volontairement – à un profil assyrien. On renverra, pour une analyse très fine des relations entre Péladan et Séon, et les correspondances entre les idées du premier et l’art du second, aux deux essais du catalogue par Jean-David Jumeau-Lafond et Delphine Durand.


6. Alexandre Séon (1855-1917)
Le Désespoir de la chimère, 1890
Huile sur toile - 65 x 53 cm
Collection Lucile Audouy
Photo : Didier Rykner
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7. Alexandre Séon (1855-1917)
La Fille de la Mer île de Bréhat, vers 1903
Huile sur toile - 62 x 64 cm
Collection particulière
Photo : Didier Rykner
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8. Alexandre Séon (1855-1917)
La Sirène, 1896 ?
Huile sur toile - 75,4 x 48 cm
Saint-Étienne, Musée d’Art moderne de
Saint-Étienne Métropole
Photo : Didier Rykner
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Riche de plus d’une centaine de tableaux et dessins, l’exposition ne manque pas de chefs-d’œuvre. Parmi eux, Le Désespoir de la Chimère (ill. 6), dont la proximité à la fois stylistique et thématique avec Gustave Moreau est évidente. La Chimère, c’est l’artiste idéaliste désespéré devant la décadence, à la fois celle de l’art qui se perd dans le naturalisme et celle d’un monde devenu matérialiste. La juxtaposition des touches de couleur évoque – de manière assez lointaine nous semble-t-il – le pointillisme, tandis que le jeu des lignes descendantes vers la droite accentue le côté triste de la scène, tandis que l’absence de ligne horizontale (hors celle de l’horizon), symbole d’apaisement, confirme cette atmosphère sombre. Le tableau est l’un des premiers à montrer en arrière-plan un paysage de l’île de Bréhat qui revint ensuite de manière récurrente chez Séon comme dans Fille de la Mer (ill. 7), Muse, Le Récit, Le Retour (l’une de ses dernières œuvres) ou ses différentes représentations d’Orphée. On reproduira ici l’une de ses plus belles œuvres, La Sirène (ill. 8), où contrairement à certains peintres de la même époque, ce personnage mythologique, représenté sur un paysage maritime de Bréhat, est une figure bienveillante. Il exposa même, à la fin de sa vie, de purs paysages, petits tableaux sans doute peints à l’origine pour lui même, montrant la mer et les rochers bretons (ill. 9 et 10), et qui font penser à Vallotton et à Guilloux tout en gardant leur propre originalité.


9. Alexandre Séon (1855-1917)
Marine - La Vague, vers 1903
Huile sur toile - 15,5 x 24 cm
Saint-Étienne, Musée d’Art moderne de Saint-Étienne Métropole
Photo : Didier Rykner
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10. Alexandre Séon (1855-1917)
La Mer - La Houle, vers 1903
Huile sur toile - 15,5 x 24 cm
Saint-Étienne, Musée d’Art moderne de Saint-Étienne Métropole
Photo : Didier Rykner
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Il peignit aussi des figures féminines dans des forêts : le « bois sacré » cher aux Nabis et aux Symbolistes. La ligne verticale stricte des arbres représentait pour lui « le symbole de l’élévation et en général des sentiments qui portent l’homme vers le ciel ». Il n’est pas toujours facile d’identifier précisément les tableaux de Séon, certains portant des titres identiques, comme les deux nommés La Pensée (ill. 11 et 12) qui se profilent chacun sur un fond de ruines, symbolisant la supériorité de l’idée sur la matière. Le premier représente un profil féminin très pur, le second une jeune fille ailée assise sur un arc de triomphe, qui contemple les restes d’une cathédrale.


11. Alexandre Séon (1855-1917)
La Pensée, vers 1899
Huile sur toile - 61 x 38 cm
Collection Lucile Audouy
Photo : Didier Rykner
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12. Alexandre Séon (1855-1917)
La Pensée, 1904
Huile sur toile - 175,5 x 85,5 cm
Brest, Musée des Beaux-Arts
Photo : Didier Rykner
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13. Alexandre Séon (1855-1917)
Le Récit, vers 1912
Huile sur toile - 88,5 x 130,5 cm
Brest, Musée des Beaux-Arts
Photo : Didier Rykner
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Puvis, Seurat, Péladan, Bréhat… Nous aurions pu ajouter Léonard de Vinci – il se promenait en permanence avec une image de la Joconde… L’art de Séon est le fruit d’une multitude d’influences dont il ne faut pas oublier la composante lyonnaise. Né à Chazelles-sur-Lyon dans le Forez, il commença ses études à l’école des beaux-arts de Lyon. Si ses liens avec la région restèrent ténus et souvent infructueux (il échoua là aussi à peindre des murs à Saint-Étienne) l’une de ses dernières œuvres, Le Récit (ill. 13) rappelle fortement une des compositions de Janmot pour le Poème de l’âme.
Si Séon peut paraître un Symboliste apaisé - seul Le Désespoir de la Chimère, Le Panthée ou L’Amour est mort et le seul livre qu’il illustra (L’Effort d’Edmond Haraucourt) témoignent dans l’exposition d’une veine plus morbide -, sans doute cette impression aurait-elle été atténuée par les dessins « cauchemardesques » qu’il réalisa, profondément marqué par la guerre, à la fin de sa vie, en 1917. Ces œuvres furent détruites par sa famille. Il restera donc, pour l’éternité, le peintre de la beauté idéale...


Commissariat scientifique : Jean-David Jumeau-Lafond.
Commissariat général : Guillaume Ambroise, Pascale Soleil et Hélène Moulin.


Jean-David Jumeau-Lafond, Alexandre Séon (1855-1917), la beauté idéale, 2015, SilvanaEditoriale, 288 p., 35 €. ISBN : 9788836631490

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Informations pratiques : Musée des Beaux-Arts, 40 Place Saint-Corentin, 29000 Quimper. Tél : 00 33 (0)2 98 95 45 20. Ouvert tous les jours de 9 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h (mai-juin et septembre), de 10 h à 18 h (juillet-août). Tarifs : 5 € (réduit : 3 €).
Site du musée.

Didier Rykner

Notes

[1Ce château néo-renaissance construit vers 1900 pour la comtesse de Wendel par l’architecte Pierre-Victor Cuvillier, et que le département des Hauts-de-Seine met aujourd’hui en vente, n’est pas protégé au titre des Monuments Historiques ce qui, compte-tenu de sa qualité, est anormal. Aux vitraux (en partie exécuté également sur des dessins de Séon) et aux peintures murales s’ajoutent les sculptures des Évangélistes par Félix Charpentier et une Vierge en pierre provenant de l’abbaye de Saint-Denis.

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