A quoi sert la législation des monuments historiques ? (5) : le couvent des Cordeliers de Nantes

Une fois de plus, une affaire de vandalisme impose de poser une question : y-a-t-il encore, en France, une politique de protection des monuments historiques ? Et surtout y-a-t-il une volonté de faire appliquer la loi, simplement la loi et finalement rien que la loi ? Ce qui amène à s’interroger plus largement : à quoi sert le ministère de la Culture et son antenne régionale, la DRAC ?


1. La rue des Cordeliers avant les travaux
Les trois chapelles du couvent des Cordeliers
se trouvent dans ce bâtiment
Photo : Forum Nantes Patrimoine
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2. Croisée d’ogives d’une chapelle
Ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Photo : Forum Nantes Patrimoine
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Le couvent des Cordeliers est un élément essentiel du patrimoine nantais, en dépit de son état aujourd’hui très partiel. Malgré les destructions subies depuis le XIXe siècle, de nombreux éléments subsistent encore insérés dans le tissu urbain. Si son église, Saint-Michel-des-Cordeliers, a disparu puisque la rue des Cordeliers (ill. 1) a percé de part en part une de ses deux nefs (la nef des fidèles), trois chapelles voûtées d’ogives (ill. 2) existaient encore, incluses dans un bâtiment qui borde la rue. Ces chapelles avaient été fondées par les familles de marchands espagnols établis à Nantes depuis le XVe siècle.


3. Rue des Cordeliers, Nantes
Mur longeant la rue et comprenant les piliers séparant autrefois
les deux nefs du couvent des Cordeliers
Photo : Didier Rykner
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4. Cour d’école sur l’emplacement du cloître
de l’ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Au fond, le mur gallo-romain qui faisait office
de mur de l’église
A gauche, bâtiment du couvent aujourd’hui désaffectés
En arrière plan, le bâtiment avec les chapelles
de l’autre côté de la rue des Cordeliers
Photo : Didier Rykner
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Dans le mur qui longe la rue de l’autre côté, on voit les traces des piliers qui séparaient les deux nefs (ill. 3). De l’autre côté de ce mur se trouve l’emplacement de la seconde nef, celle des moines, à son tour bordée d’un mur gallo-romain que l’on peut voir à partir de la cour de l’école voisine qui se trouve à l’emplacement du cloître et qui est dominée par une partie des bâtiments conventuels (ill. 4). Ces derniers sont actuellement désaffectés et l’on peut également s’inquiéter de leur devenir.


5. Panneau d’information sur les travaux
sur le couvent des Cordeliers
Photo : Didier Rykner
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6. Le bâtiment contenant les chapelles du
couvent des Cordeliers en cours de travaux
Etat le 25 février 2011
Photo : Didier Rykner
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Le bâtiment contenant les chapelles est l’objet d’une promotion immobilière et des travaux sont en cours pour y réaliser des logements. Ceux-ci ont rapidement été dénoncés par l’association Forum Nantes Patrimoines et par plusieurs archéologues et historiens de l’architecture. Nous avons voulu constater de visu l’état des travaux. Le promoteur ayant engagé un cerbère pour empêcher qui que ce soit d’y accéder ou même de jeter un coup d’œil au chantier, nous n’avons pu le voir que de l’extérieur.
Néanmoins, la comparaison entre les photos prises avant les travaux, celles prises par des archéologues il y a quelques semaines, et celles de l’état de la façade aujourd’hui permettent de constater en partie l’ampleur des dégâts. Ce que le promoteur n’hésite pas à appeler la « réhabilitation des chapelles » (ill. 5 et 6), une réhabilitation qui ressemble un peu à la « restauration » des arènes de Fréjus par le ministère de la Culture (voir l’article).


7. Chapelle de Miranda (extérieur)
Ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Etat septembre 2010
Photo : Forum Nantes Patrimoine
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8. Chapelle de Miranda (extérieur)
Ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Etat le 25 février 2011
Photo : Didier Rykner
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La chapelle que l’on voit ici (ill. 7), avec sa belle arche, est celle d’Aranda (1510). Cette ouverture qui se trouvait cachée sous la façade du XIXe, était en assez bon état de conservation. Voilà ce qu’on en devine aujourd’hui (ill. 8) sous l’échafaudage : l’arche a été en partie anéantie pour installer une fenêtre, son décor mouluré a été enduit, les marches anciennes semblent avoir disparu tandis que l’ouverture a été bétonnée. A côté, le pignon de la chapelle Miranda a été détruit et remonté en parpaing !
Les vues sur la chapelle Ruiz (ill. 9 et 10) montrent qu’elle a été cloisonnée et que la voûte d’ogives a été (au mieux) cachée par un faux plafond. D’autres dégâts importants ont été listés par Forum Nantes Patrimoines dans un courrier envoyé à l’Architecte des Bâtiments de France le 21 janvier 2011. Il est évident que, depuis, le vandalisme a continué d’autant que les travaux s’exécutent désormais à huis-clos.


9. Chapelle Ruiz
Ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Etat le 25 février 2011
Photo : Didier Rykner
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10. Chapelle Ruiz
Ancien couvent des Cordeliers de Nantes
Etat le 25 février 2011
On distingue parfaitement le cloisonnement
Photo : Didier Rykner
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11. Détail du plan du secteur sauvegardé de Nantes
Les chapelles du couvent des Cordeliers sont
indiquées avec des rayures épaisses
signifiant : « bâtiments à conserver et à restaurer
dont la démolition, l’enlèvement ou l’altération sont interdits ».
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Comment un tel vandalisme peut-il être toléré ? Même si les restes de ces chapelles n’étaient pas classées ni inscrites au titre des Monuments Historiques, elles se trouvent en plein cœur du Secteur sauvegardé de Nantes et sont explicitement signalées dans celui-ci comme immeubles protégés « à conserver et à restaurer dont la démolition, l’enlèvement ou l’altération sont interdits » (ill. 11). On ne peut être plus clair. Le règlement explique par ailleurs que : « Les projets de restauration de l’extérieur comme de l’intérieur des immeubles doivent être soumis pour accord à l’Architecte des Bâtiments de France [...]. Ces immeubles ne peuvent pas être démolis et doivent être restaurés suivant leurs dispositions d’origine [1] ».

Qu’a donc fait l’Architecte des Bâtiments de France, Alain Tournaire, qui doit normalement veiller au respect de ce règlement ? Celui-ci nous a dit être « très en colère contre ces travaux qui ne sont pas conformes à ce [qui était] prévu et à ce [qu’il avait] autorisé ». Le journal de l’association Momus (n° 24), qui consacre un article à cette affaire, affirme qu’il aurait signé le permis de construire sans voir le projet définitif, ce qu’il conteste.
Mais pourquoi a-t-il fallu attendre l’intervention de Forum Nantes Patrimoines, qui l’a alerté et a prévenu le préfet et le maire, pour qu’enfin un procès-verbal d’infraction soit dressé ? Et pourquoi, seuls les travaux sur la façade ont-ils été interrompus (suite à un arrêté signé le 4 février 2011 par le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault), alors que ceux de l’intérieur continuent en toute impunité ? Selon Alain Tournaire : « Nous intervenons beaucoup moins qu’avant sur les intérieurs en secteur sauvegardé depuis que le code de l’urbanisme a changé en 2007. C’est pour cela qu’on n’a pas arrêté les travaux. De toute façon, je ne peux pas moi-même les interrompre, je dois faire un PV, le transmettre au maire et au préfet qui seuls peuvent le faire. » Nous avouons ne pas comprendre en quoi le code de l’urbanisme impliquerait l’impossibilité pour l’Architecte des bâtiments de France d’intervenir sur les intérieurs [2]. Dans tous les cas, l’attitude du promoteur est claire : il cherche à rendre les travaux irréversibles sans que personne ou presque ne s’y oppose.

Résumons : nous sommes ici dans un secteur sauvegardé qui impose des contraintes très fortes de conservation du patrimoine, et un promoteur vandalise pourtant impunément des monuments protégés par la règlementation. Le ministère de la Culture et la direction des Patrimoines, à Paris, sont aux abonnés absents à supposer même qu’ils aient entendu parler du problème ; leurs antennes à Nantes, la Direction Régionale des Affaires Culturelles et le Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine, c’est-à-dire l’ABF, paraissent totalement impuissants à stopper ce projet. Quant au maire, qui est pourtant au courant de la situation, il semble lui aussi laisser faire, comme le préfet. A quoi sert la législation des monuments historiques si elle n’est pas appliquée ? A quoi sert d’avoir créé, en 2008, à Nantes, une Direction municipale du patrimoine et de l’architecture si celle-ci n’est là que pour jouer la figuration ?


12. Ancien couvent des Visitandines de Nantes
Photo : Didier Rykner
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13. Couvent des Visitandines de Nantes
Porte inscrite aux monuments historiques
Photo : Didier Rykner
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La réponse se trouve peut-être en conclusion d’un article sur cette affaire paru dans le numéro de mars de L’Estampille-L’Objet d’Art. Alexandre Gady y explique que Nantes s’est, depuis plusieurs années, surtout occupé de son héritage industriel, du port et des périphéries, de ses aménagements contemporains et, avec un courage que souligne l’auteur, de son passé colonial, mais qu’elle semble négliger le reste de son histoire. D’autres dossiers pourraient venir, si l’on n’y prend garde, aggraver ce constat : le ministère de la Défense met en effet en vente le Couvent de la Visitation, un très bel ensemble des XVIIe et XVIIIe siècles (ill. 12) dont seuls une porte (ill. 13) et le cloître sont inscrits.

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